Préface
Théodore, vierge et martyre
Corneille, Pierre
Éditeur scientifique : Teulade, Anne
Description
Auteur du paratexteCorneille, Pierre
Auteur de la pièceCorneille, Pierre
Titre de la pièceThéodore, vierge et martyre
Titre du paratexteExamen
Genre du textePréface
Genre de la pièceTragédie chrétienne
Date1660
LangueFrançais
ÉditionParis : Thomas Jolly, 1663, in-folio
Éditeur scientifiqueTeulade, Anne
Nombre de pages4
Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k714431/f40.image
Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/Corneille-Theodore-Examen.xml
Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/Corneille-Theodore-Examen.html
Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/Corneille-Theodore-Examen.odt
Mise à jour2016-06-14
Mots-clés
Mots-clés français
SourcesSaint Ambroise
SujetReligieux
DramaturgieRécit / représentation ; respect des règles ; composition de l’intrigue ; caractères
LieuLieu de prostitution
ActionDuplicité ; non représentée, obscène
Personnage(s)Vierge et martyre ; caractères froids ou passionnés
ComédiensTalent de l’acteur
RéceptionÉchec
FinalitéMorale ; pitié
Mots-clés italiens
FontiSant’Ambrogio
ArgomentoSacro
DrammaturgiaRacconto / rappresentazione ; rispetto delle regole ; composizione dell’intreccio ; caratteri
LuogoLuogo di prostituzione
AzioneAzione doppia ; non rappresentata ; oscena
Personaggio(i)Vergine e martire ; caratteri freddi o appassionati
AttoriTalento dell’attore
RicezioneScacco
FinalitàMorale ; pietà
Mots-clés espagnols
FuentesSan Ambrosio
TemaReligioso
DramaturgiaRelato / representación ; respeto de las reglas ; composición de la intriga ; caracteres
LugarLugar de prostitución
AcciónDuplicidad ; no representada ; obscena
Personaje(s)Virgen y mártir ; caracteres fríos o apasionados
Actor(es)Talento del actor
RecepciónFracaso
FinalidadMoral ; piedad
Présentation
Présentation en français
Texte
Afficher les occurrences dans les notes
Examen
{XXXIX http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k714431/f40} La représentation de cette tragédie n’a pas eu grand éclat, et sans chercher des couleurs1 à la justifier2, je veux bien ne m’en prendre qu’à ses défauts et la croire mal faite, puisqu’elle a été mal suivie. J’aurais tort de m’opposer au jugement du public3 : il m’a été trop avantageux en d’autres ouvrages pour le contredire en celui-ci, et si je l’accusais d’erreur ou d’injustice pour Théodore, mon exemple donne{XL http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k714431/f41}rait lieu à tout le monde de soupçonner des mêmes choses les arrêts4 qu’il a prononcés en ma faveur. Ce n’est pas toutefois sans quelque satisfaction que je vois la meilleure et la plus saine partie de mes juges imputer ce mauvais succès à l’idée de la prostitution qu’on n’a pu souffrir, bien qu’on sût assez qu’elle n’aurait point d’effet5, et que pour en exténuer l’horreur j’aie employé tout ce que l’art et l’expérience m’ont pu fournir de lumière ; pouvant6 dire du quatrième acte de cette pièce, que je ne crois pas en avoir fait aucun où les diverses passions soient ménagées avec plus d’adresse et qui donne plus de lieu7 à faire voir tout le talent d’un excellent acteur. Dans cette disgrâce, j’ai de quoi congratuler à la pureté de notre scène8, de voir qu’une histoire qui fait le plus bel ornement du second Livre des Vierges de saint Ambroise9 se trouve trop licencieuse pour y être supportée. Qu’eût-on dit si, comme ce grand docteur de l’Église, j’eusse fait voir cette vierge dans le lieu infâme ? Si j’eusse décrit les diverses agitations de son âme pendant qu’elle y fut ? Si j’eusse peint les troubles qu’elle ressentit au premier moment qu’elle y vit entrer Didyme ? C’est là-dessus que ce grand saint fait triompher cette éloquence qui convertit saint Augustin10, et c’est pour ce spectacle qu’il invite particulièrement les vierges à ouvrir les yeux. Je l’ai dérobé à la vue, et autant que je l’ai pu à l’imagination de mes auditeurs, et après y avoir consumé11 toute mon industrie12, la modestie de notre théâtre a désavoué ce peu que la nécessité de mon sujet13 m’a forcé d’en faire connaître14.
Je ne veux pas toutefois me flatter jusqu’à dire que cette fâcheuse idée ait été le seul défaut de ce poème15. À le bien examiner, s’il y a quelques caractères vigoureux et animés, comme ceux de Placide et de Marcelle, il y en a de traînants, qui ne peuvent avoir grand charme ni grand feu sur le théâtre. Celui de Théodore est entièrement froid. Elle n’a aucune passion qui l’agite16, et là-même où son zèle pour Dieu qui occupe son âme devrait éclater le plus, c’est-à-dire dans sa contestation avec Didyme pour le martyre, je lui ai donné si peu de chaleur que cette scène, bien que très courte, ne laisse pas d’ennuyer. Aussi pour en parler sainement, une vierge et martyre sur un théâtre n’est autre chose qu’un Terme17, qui n’a ni jambe ni bras, et par conséquent point d’action18.
Le caractère de Valens ressemble trop à celui de Félix dans Polyeucte, et a même quelque chose de plus bas, en ce qu’il se ravale à craindre sa femme et n’ose s’opposer à ses fureurs, bien que dans l’âme il tienne le parti de son fils. Tout gouverneur qu’il est, il demeure les bras croisés au cinquième acte, quand il les voit prêts à s’entre-immoler l’un à l’autre, et attend le succès19 de leur haine mutuelle pour se ranger du côté du plus fort. La connaissance que Placide son fils a de cette {XLI http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k714431/f42} bassesse d’âme fait qu’il le regarde si bien comme un esclave de Marcelle, qu’il ne daigne s’adresser à lui pour obtenir ce qu’il souhaite en faveur de sa maîtresse, sachant bien qu’il le ferait inutilement. Il aime mieux se jeter aux pieds de cette marâtre impérieuse, qu’il hait et qu’il a bravée, que de perdre des prières et des soupirs auprès d’un père qui l’aime dans le fond de l’âme et n’oserait lui rien accorder.
Le reste est assez ingénieusement conduit, et la maladie de Flavie, sa mort et les violences des désespoirs de sa mère qui la venge, ont assez de justesse. J’avais peint des haines trop envenimées pour finir autrement, et j’eusse été ridicule si j’eusse fait faire au sang de ces martyrs le même effet sur les cœurs de Marcelle et de Placide, que fait celui de Polyeucte sur ceux de Félix et de Pauline20. La mort de Théodore peut servir de preuve à ce que dit Aristote : « que quand un ennemi tue son ennemi, il ne s’excite par là aucune pitié dans l’âme des spectateurs »21. Placide en peut faire naître, et purger ensuite ces forts attachements d’amour qui sont cause de son malheur, mais les funestes désespoirs de Marcelle et de Flavie, bien que l’une ni l’autre ne fasse pitié, sont encore plus capables de purger l’opiniâtreté à faire des mariages par force, et à ne se point départir du projet qu’on en fait par un accommodement de famille, entre des enfants dont les volontés ne s’y conforment point quand ils sont venus en âge de l’exécuter22.
L’unité de jour et de lieu se rencontre en cette pièce, mais je ne sais s’il n’y a23 point une duplicité d’action, en ce que Théodore échappée d’un péril se rejette dans un autre de son propre mouvement24. L’Histoire le porte25, mais la tragédie n’est pas obligée de représenter toute la vie de son héros ou de son héroïne, et doit ne s’attacher qu’à une action propre au théâtre. Dans l’Histoire même j’ai trouvé toujours quelque chose à dire en cette offre volontaire qu’elle fait de sa vie aux bourreaux de Didyme. Elle venait d’échapper de la prostitution, et n’avait aucune assurance qu’on ne l’y condamnerait point de nouveau et qu’on accepterait sa vie en échange de sa pudicité, qu’on avait voulu sacrifier. Je l’ai sauvée de ce péril, non seulement par une révélation de Dieu qu’on se contenterait de sa mort, mais encore par une raison assez vraisemblable, que Marcelle qui vient de voir expirer sa fille unique entre ses bras, voudrait obstinément du sang pour sa vengeance. Mais avec toutes ces précautions, je ne vois pas comment je pourrais justifier ici cette duplicité de péril après l’avoir condamnée dans l’Horace. La seule couleur26 qui pourrait y servir de prétexte, c’est que la pièce ne serait pas achevée si on ne savait ce que devient Théodore après être échappée de l’infamie, et qu’il n’y a point de fin glorieuse, ni même raisonnable pour elle, que le martyre, qui est historique. Du moins l’imagination ne m’en offre point. Si les maîtres de l’art veulent consen{XLII http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k714431/f43}tir que cette nécessité de faire connaître ce qu’elle devient27 suffise pour réunir ce nouveau péril à l’autre et empêcher qu’il n’y ait duplicité d’action, je ne m’opposerai pas à leur jugement, mais aussi je n’en appellerai28 pas quand ils la voudront condamner.