IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

Médée

Corneille, Pierre

Éditeur scientifique : Souchier, Marine

Description

Auteur du paratexteCorneille, Pierre

Auteur de la pièceCorneille, Pierre

Titre de la pièceMédée

Titre du paratexteExamen de Médée

Genre du textePréface

Genre de la pièceTragédie

Date1660

LangueFrançais

Édition

Le Théâtre de P. Corneille, revu et corrigé par l’auteur, première partie

Paris : Augustin Courbé et Guillaume de Luyne, 1660, in-8°

Éditeur scientifiqueSouchier, Marine

Nombre de pages7

Adresse sourceEn attente de numérisation

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/CorneilleMedeeExamen.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/CorneilleMedeeExamen.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/CorneilleMedeeExamen.odt

Mise à jour2016-03-24

Mots-clés

Mots-clés français

GenreComédie ; tragédie

SourcesSénèque ; Euripide ; altération ; modification ; fidélité

SujetAltération de la source ; respect de la source

DramaturgieRespect des règles ; vraisemblance ; narration ; chœur

LieuUnité

ActionÉpisode ; catastrophe

Personnage(s)Personnage protatique

ScenographiePrison ; prisonnier ; chœur

ExpressionStyle inégal

Mots-clés italiens

GenereCommedia ; tragedia

FontiSeneca ; Euripide ; alterazioni ; modifiche ; fedeltà

ArgomentoAlterazione / rispetto della fonte

DrammaturgiaRispetto delle regole ; verosimiglianza ; racconto ; coro

LuogoUnità

AzioneEpisodio ; scioglimento

Personaggio(i)Personaggio protatico

ScenografiaPrigione ; prigioniero ; coro

EspressioneStile eterogeneo

Mots-clés espagnols

GéneroComedia ; tragedia

FuentesSéneca ; Eurípides ; alteración ; modificación ; fidelidad

TemaAlteración de la fuente ; respet de la fuente

DramaturgiaRespeto de los peceptos ; verosimilitud ; narración ; coro

LugarUnidad

AcciónEpisodio ; catástrofe

Personaje(s)Personaje protático

EscenografiaCárcel ; preso ; coro

ExpresiónEstilo desigual

Présentation

Présentation en français

C’est en 1635, au théâtre du Marais, que Corneille donne Médée, sa première tragédie. Elle connaît un succès non négligeable et confirme l’ascension du jeune dramaturge qui, à 29 ans, en est déjà à sa septième pièce.

Vingt-cinq ans plus tard, Corneille est devenu « le grand Corneille ». Parvenu au sommet de sa carrière théâtrale, il s’est lancé dans une opération éditoriale de grande ampleur : la publication de son théâtre complet, accompagné de trois Discours sur le poème dramatique porteurs de la réflexion sur Aristote qui l’occupe depuis les années 1640 et d’« examens » qui livrent une relecture de chacune de ses pièces. L’édification de ce monument lui permet de conférer une unité à son œuvre et de contrôler son image d’auteur.

Au premier abord, l’examen de Médée semble renier la dédicace « À Monsieur P. T. N. G. », qu’il remplace : dans ce premier texte liminaire, paru en 1639, Corneille refusait de justifier la pièce sur le plan théorique. Dans l’examen, à l’inverse, il expose en détails les choix qu’il a faits dans la matière antique et justifie systématiquement les modifications apportées à ses sources, prenant clairement position dans le champ théorique. En outre, la dimension immorale du personnage de Médée, qui occupait le centre de la dédicace, disparaît totalement : l’examen est entièrement centré sur la question de la vraisemblance, enjeu essentiel des Discours de Corneille.

Mais cette rupture avec le texte de 1639 n’est qu’apparente. La démarche de Corneille a changé : il ne s’agit plus de proclamer sa liberté face aux jugements d’une Académie ennemie. Les idées restent toutefois les mêmes. Son rapport aux règles se caractérise par sa liberté ; au vraisemblable, il préfère tantôt la fidélité à sa source, tantôt l’efficacité de l’action dramatique et l’effet qu’elle produit sur le spectateur. Si désormais, il se réfère abondamment aux Anciens et reconnaît avoir commis des erreurs, c’est pour mieux souligner sa propre adresse de dramaturge.

En somme, loin de renier ses positions esthétiques de 1639, il s’agit de les consacrer en leur conférant une assise théorique forte. Les doctes des années 1630 avaient condamné sa dramaturgie ; qu’à cela ne tienne : Corneille est désormais en mesure d’élaborer son propre système esthétique et de l’élever lui-même au rang de modèle.

Texte

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Examen

{NP 1} Cette tragédie a été traitée en grec par Euripide et en latin par Sénèque1, et c’est sur leur exemple que je me suis autorisé à en mettre le lieu dans une place publique, quelque peu de vraisemblance qu’il y ait à y faire parler des rois, et à y voir Médée prendre les desseins de sa vengeance. Elle en fait confidence, chez Euripide, à tout le chœur composé de Corinthiennes sujettes de Créon, et qui devaient être du moins au nombre de quinze, à qui elle dit hautement qu’elle fera périr leur roi, leur princesse et son mari, sans qu’aucune d’elles ait la moindre pensée d’en donner avis à ce prince2.

Pour Sénèque, il y a quelque apparence qu’il3 ne lui fait pas prendre ces résolutions violentes en présence du chœur, qui n’est pas toujours sur le {NP 2} théâtre, et n’y parle jamais aux autres acteurs, mais je ne puis comprendre comme4 dans son quatrième acte il lui fait achever ses enchantements en place publique, et j’ai mieux aimé rompre l’unité exacte du lieu pour faire voir Médée dans le même cabinet où elle a fait ses charmes, que de l’imiter en ce point5.

Tous les deux m’ont semblé donner trop peu de défiance à Créon des présents de cette magicienne, offensée au dernier point, qu’il témoigne craindre chez l’un et chez l’autre, et dont il a d’autant plus de lieu de se défier, qu’elle lui demande instamment un jour de délai pour se préparer à partir, et qu’il croit qu’elle ne le demande que pour machiner quelque chose contre lui et troubler les noces de sa fille.

J’ai cru mettre la chose dans un peu plus de justesse par quelques précautions que j’y ai apportées. La première, en ce que Créuse souhaite avec passion cette robe que Médée empoisonne, et qu’elle oblige Jason à la tirer d’elle par adresse. Ainsi, bien que les présents des ennemis doivent être suspects, celui-ci ne le doit pas être, parce que ce n’est pas tant un don qu’elle fait, qu’un paiement qu’on lui arrache de la grâce que ses enfants reçoivent. La seconde, en ce que ce n’est pas elle qui demande ce jour de délai, qu’elle emploie à sa {NP 3} vengeance, mais Créon qui le lui donne de son mouvement, comme pour diminuer quelque chose de l’injuste violence qu’il lui fait, dont il semble avoir honte en lui-même ; et la troisième enfin, en ce qu’après les défiances que Pollux lui en fait prendre presque par force, il en fait faire l’épreuve sur une autre, avant que de permettre à sa fille de s’en parer6.

L’épisode7 d’Ægée n’est pas tout à fait de mon invention. Euripide l’introduit en son troisième acte, mais seulement comme un passant à qui Médée fait ses plaintes, et qui l’assure d’une retraite chez lui à Athènes, en considération d’un service qu’elle promet de lui rendre. En quoi je trouve deux choses à dire. L’une, qu’Ægée étant dans la cour de Créon ne parle point du tout de le voir : l’autre, que bien qu’il promette à Médée de la recevoir et protéger à Athènes après qu’elle se sera vengée, ce qu’elle fait dès ce jour-là même, il lui témoigne toutefois qu’au sortir de Corinthe il va trouver Pitthéus8 à Trézène, pour consulter avec lui sur le sens de l’oracle qu’on venait de lui rendre à Delphes ; et qu’ainsi Médée aurait demeuré en assez mauvaise posture dans Athènes en l’attendant, puisqu’il tarda manifestement quelque temps chez Pitthéus, où il fit l’amour9 à sa fille Æthra, qu’il laissa grosse de Thésée, {NP4} et n’en partit point que sa grossesse ne fût constante10. Pour donner un peu plus d’intérêt à ce monarque dans l’action de cette tragédie11, je le fais amoureux de Créuse, qui lui préfère Jason ; et je porte ses ressentiments à l’enlever, afin qu’en cette entreprise demeurant prisonnier de ceux qui la sauvent de ses mains, il ait obligation à Médée de sa délivrance, et que la reconnaissance qu’il lui en doit l’engage plus fortement à sa protection, et même à l’épouser, comme l’histoire le marque12.

Pollux est de ces personnages protatiques13, qui ne sont introduits que pour écouter la narration du sujet14. Je pense l’avoir déjà dit15, et j’ajoute que ces personnages sont d’ordinaire assez difficiles à imaginer dans la tragédie, parce que les événements publics et éclatants dont elle est composée sont connus de tout le monde, et que s’il est aisé de trouver des gens qui les sachent pour les raconter, il n’est pas aisé d’en trouver qui les ignorent pour les entendre. C’est ce qui m’a fait avoir recours à cette fiction16, que Pollux depuis son retour de Colchos avait toujours été en Asie, où il n’avait rien appris de ce qui s’était passé dans la Grèce que la mer en sépare. Le contraire arrive en la comédie. Comme elle n’est que d’intriques17 particuliers, il n’est rien si facile que de trouver des gens qui les ignorent, mais souvent il n’y a qu’une seule {NP 5} personne qui les puisse expliquer. Ainsi l’on n’y manque jamais de confidents, quand il y a matière de confidence18.

Dans la narration que fait Nérine au quatrième acte on peut considérer, que quand ceux qui écoutent ont quelque chose d’important dans l’esprit, ils n’ont pas assez de patience pour écouter le détail de ce qu’on leur vient raconter, et c’est assez pour eux d’en apprendre l’événement en un mot. C’est ce que fait voir ici Médée qui, ayant su que Jason a arraché Créuse à ses ravisseurs, et pris Ægée prisonnier, ne veut point qu’on lui explique comment cela s’est fait. Lorsqu’on a affaire à un esprit tranquille, comme Achorée à Cléopâtre dans La Mort de Pompée, pour qui elle ne s’intéresse que par un sentiment d’honneur, on prend le loisir d’exprimer toutes les particularités ; mais avant que d’y descendre, j’estime qu’il est bon, même alors, d’en dire tout l’effet en deux mots dès l’abord.

Surtout dans les narrations ornées et pathétiques il faut très soigneusement prendre garde en quelle assiette19 est l’âme de celui qui parle, et de celui qui écoute, et se passer de cet ornement qui ne va guère sans quelque étalage ambitieux, s’il y a la moindre apparence que20 l’un des deux soit trop en péril, ou dans une passion trop violente, {NP 6} pour avoir toute la patience nécessaire au récit qu’on se propose21.

J’oubliais à remarquer que la prison22 où je mets Ægée est un spectacle désagréable, que je conseillerais d’éviter. Ces grilles qui éloignent l’acteur du spectateur, et lui cachent toujours plus de la moitié de sa personne, ne manquent jamais à rendre son action fort languissante. Il arrive quelquefois des occasions indispensables de faire arrêter prisonniers sur nos théâtres quelques-uns de nos principaux acteurs23, mais alors il vaut mieux se contenter de leur donner des gardes qui les suivent et n’affaiblissent ni le spectacle, ni l’action, comme dans Polyeucte et dans Héraclius24. J’ai voulu rendre visible ici l’obligation qu’Ægée avait à Médée, mais cela se fût mieux fait par un récit25.

Je serai bien aise encore qu’on remarque la civilité de Jason envers Pollux à son départ. Il l’accompagne jusque hors de la ville, et c’est une adresse de théâtre assez heureusement pratiquée, pour l’éloigner de Créon et Créuse mourants, et n’en avoir que deux à la fois à faire parler. Un auteur est bien embarrassé quand il en a trois, qui tous ont une assez forte passion dans l’âme, pour leur donner une juste impatience de la pousser au dehors. C’est ce qui m’a obligé à faire mourir ce roi malheureux, avant l’arrivée de Jason, afin qu’il n’eût à parler qu’à Créuse, et à faire mourir cette princesse avant que Médée se montre sur le balcon, afin que cet amant en colère n’ait plus à qui s’adresser qu’à elle : mais on aurait eu lieu de trouver à dire qu’il ne fût pas auprès de sa maîtresse dans un si grand malheur, si je n’eusse rendu raison de son éloignement.

J’ai feint que les feux que produit la robe de Médée, et qui font périr Créon et Créuse, étaient invisibles, parce que j’ai mis leurs personnes sur la scène dans la catastrophe26. Ce spectacle de mourants m’était nécessaire pour remplir mon cinquième acte, qui sans cela n’eût pu atteindre à la longueur ordinaire des nôtres : mais à dire le vrai, il n’a pas l’effet que demande la tragédie27, et ces deux mourants importunent plus par leurs cris et par leurs gémissements, qu’ils ne font pitié par leur malheur. La raison en est qu’ils semblent l’avoir mérité par l’injustice qu’ils ont faite à Médée, qui attire si bien de son côté toute la faveur de l’auditoire, qu’on excuse sa vengeance, après l’indigne traitement qu’elle a reçu de Créon et de son mari, et qu’on a plus de compassion du désespoir où ils l’ont réduite, que de tout ce qu’elle leur fait souffrir28.

Quant au style, il est fort inégal en ce poème, et ce que j’y ai mêlé du mien approche si peu {NP7} de ce que j’ai traduit de Sénèque, qu’il n’est point besoin d’en mettre le texte en marge, pour faire discerner au lecteur ce qui est de lui, ou de moi. Le temps m’a donné le moyen d’amasser assez de forces, pour ne laisser pas cette différence si visible dans le Pompée29, où j’ai beaucoup pris de Lucain, et ne crois pas être demeuré fort au-dessous de lui, quand il a fallu me passer de son secours.