IdT – Les idées du théâtre


 

Dédicace

La Famine, ou Les Gabéonites, Tragédie prise de la Bible et suivant celle de Saül

La Taille, Jean de

Éditeur scientifique : Busca, Maurizio

Description

Auteur du paratexteLa Taille, Jean de

Auteur de la pièceLa Taille, Jean de

Titre de la pièceLa Famine, ou Les Gabéonites, Tragédie prise de la Bible et suivant celle de Saül

Titre du paratexteÀ très-illustre Princesse Marguerite de France, Reine de Navarre

Genre du texteDédicace

Genre de la pièceTragédie

Date1573

LangueFrançais

ÉditionParis, Fédéric Morel, 1573, in-8°

Éditeur scientifiqueBusca, Maurizio

Nombre de pages6

Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5734760f

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/LaTaille-Famine-Dedicace.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/LaTaille-Famine-Dedicace.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/LaTaille-Famine-Dedicace.odt

Mise à jour2015-06-08

Mots-clés

Mots-clés français

GenreTragédie

SourcesAncien Testament

SujetTriste et lamentable ; famine ; comparaison entre le sujet biblique et la situation de guerre contemporaine

FinalitéInstruction des princes ; faire pleurer les princes pour leur faire partager les afflictions du peuple ; dire la vérité au prince (refus d’une muse serve et hypocrite) ; servir la république

ActualitéFamine ; guerres de religion ; parallèle avec la situation biblique et avec les guerres civiles romaines (César et Pompée)

Mots-clés italiens

GenereTragedia

FontiAntico testamento

ArgomentoTriste e pietoso ; carestia ; paragone tra l’argomento biblico e le guerre contemporanee

FinalitàIstruzione dei principi ; far piangere i principi perché condividano le pene dei popoli ; dire la verità al principe (rifiuto di una musa servile e ipocrita) ; servire la repubblica

AttualitàCarestia ; guerre di religione ; parallelo con la situazione biblica e con le guerre civili romane (Cesare e Pompeo)

Mots-clés espagnols

GéneroTragedia

FuentesAntiguo Testamento

TemaTriste y lamentable ; hambre ; comparación entre el sujeto bíblico y la situación de guerra contemporánea

FinalidadInstrucción de los príncipes ; hacer llorar a los príncipes para que compartan las aflicciones del pueblo ; decir la verdad al príncipe (rechazo de una musa sierva e ; hipócrita ; servir la república

ActualidadHambre ; guerras de religión ; paralelo con la situación bíblica y con las guerras civiles romanas (César y Pompeyo)

Présentation

Présentation en français

Tragédie constituant la suite du Saül le furieux, La Famine met en scène l’épisode biblique du sacrifice des descendants du roi Saül, sacrifice nécessaire pour faire cesser la famine qui accable le peuple hébreu à cause de la trahison du pacte avec les Gabaonites. La dédicace, adressée à Marguerite de Valois, débute par une déclaration d’honnêteté et d’indépendance : l’auteur, méprisant les écrivains flatteurs, affirme n’avoir pas écrit La Famine pour obtenir des avantages personnels mais « pour tâcher à profiter de quelque chose à [sa] république ». Pour La Taille, en effet, le théâtre peut exercer une influence appréciable sur la formation des gouvernants, étant un outil didactique et moralisateur efficace1 : la tragédie, tout comme l’histoire, est un « miroir de l’esprit qui ne flatte jamais »2 et qui montre aux Princes la vérité – aussi désagréable soit-elle. La fâcheuse vérité que La Taille révèle à la dédicataire de la pièce est que la France, qui souffre sous les coups d’une énième guerre civile, est aussi menacée par une famine : ces deux fléaux peuvent engendrer la ruine complète du pays. Le dramaturge établit alors un double parallèle entre la France contemporaine, la Rome déchirée par les guerres civiles et la nation juive accablée par la famine sous le règne de David.

Afin de justifier le choix d’un sujet « triste et lamentable », La Taille fait remarquer qu’il faut parfois, pour le bien de l’État, « que les Princes pleurent, même en temps d’affliction », puisque ce n’est qu’en prenant conscience de la réelle gravité des circonstances présentes que les gouvernants peuvent agir dans leur propre intérêt ainsi que dans l’intérêt de leur peuple. En concluant sur un ton prophétique, il lance un avertissement : un monarque qui abandonne son peuple risque d’attirer la punition de Dieu en causant sa propre disgrâce et la ruine de sa lignée.

Texte

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À très-illustre Princesse Marguerite de France, Reine de Navarre

{2 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5734760f/f8} Madame, l’honneur qu’il vous plut dernièrement prêter à l’hymne qu’on vous présenta de ma part3, et que après mon Saül je vous ai adressé, a tellement chatouillé mes Muses que j’ai osé vous faire présent de cette mienne Famine, tragédie prise aussi de la Bible et suivant celle de Saül. Non pour gloire ou biens que j’en prétende, car, content du patrimoine de mes prédécesseurs, qui tous ont été nobles et fait service en guerre aux vôtres, comme quelquefois, selon mon pe[NP2]tit pouvoir, j’ai pu faire au roi votre époux, ainsi que même il serait bon témoin s’il me voyait, je ne mendie états ni grandeurs, et ne prétends que l’honneur pour récompense à ma vertu, si aucune se trouve en moi4, qui ne me suis encore fait connaître à votre majesté seulement de face5 ; tant s’en faut que je veuille faire comme plusieurs de ce temps qui, par une Muse serve6 et flatteuse, ont, pour parvenir, tellement déguisé quelques seigneurs ou dieux de la cour que par étranges et sauvages métamorphoses ne font conscience d’un loup faire un pasteur et d’un âne un cheval7. L’intention qui me mène n’est que pour tâcher à profiter de quelque chose à ma république8, écrivant la vérité à une princesse assise aujourd’hui en l’un des degrés plus hauts9 de l’Europe, et pour me revancher10 de l’humaine courtoisie dont le roi, votre dit mari, daigna abaisser sa hautesse11 en mon endroit, lorsqu’il m’aperçut blessé12. Pour vous dire aussi, Madame, que ce royaume est pour tomber13, après tant de guerres, {3 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5734760f/f10} en l’inconvénient de la famine14 que je décris ici, et qui advint au peuple hébreu durant le règne de David, s’il ne vous plaît par la dextérité15 de votre divin esprit aider au roi, votre seigneur et frère16, à détourner l’ire de Dieu et faire cesser la guerre, source de tous maux, qui pour la quatrième fois forcène17 en nos entrailles18, comme étant celle qui avez intérêt en ceci autant ou plus que nulle autre. Car quel avantage vous pourrait-il revenir quand ledit sieur votre frère serait roi sans sujets ? Quand vous verriez tant de belles villes siennes veuves d’habitants, tant de bourgs vides, et tant de maisons désertes ? Quand vous verriez son peuple, à qui déjà presque les os percent la peau, consumé de famine, quand vous verriez sa noblesse, l’une après l’autre, traînée à la boucherie d’une guerre civile, ôte-sceptre des rois ? Bête si malencontreuse (ainsi qu’à notre dam, et bien tard, nous l’expérimentons) et de si méchante nature qu’en général on la doit plus fuir que la peste et ne rien oublier ni épar[NP3]gner pour l’éteindre, plutôt tard que jamais, quelque occasion, raison, ou beau prétexte que puisse19 alléguer l’un et l’autre parti de la commencer et puis de l’entretenir, si le prince à crédit20 ne veut perdre ses états avec son peuple – duquel le grand nombre fait grands les rois, non les murailles des villes abandonnées d’hommes, non les campagnes vagues, fleuves, forêts ni déserts. César se vantait d’avoir raison de commencer la guerre civile, le triomphe lui ayant été dénié après avoir conquis les Gaules ; d’autre côté Pompée n’avait pas tort de lui résister, craignant qu’il ne happât la tyrannie (encore qu’il n’en eût pas fait moins s’il eût vaincu). Cependant, avec leurs belles raisons, ils ruinèrent leur patrie : et ce gentil César, dont depuis sont dérivés tous les tyrans, ravit la liberté à ses citoyens, qui soupiraient et n’osaient l’appeler méchant en leurs histoires21.

Encore que le sujet de cette tragédie, Madame, pour être aucunement22 triste et lamentable, pourrait attrister la divine nature de vos esprits, si23 n’ai-je {4 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5734760f/f12} osé différer à vous le présenter, étant aucunefois24 de besoin que les Princes pleurent, même en temps d’affliction. Car quelle joie, je vous supplie, pourraient-ils recevoir au cœur, si leur peuple était en perpétuelle tristesse25 ? Quel plaisir, si leurs sujets étaient détruits des guerres, ou rongés par la vermine du palais ? Quelle aise, si leur noblesse, harassée du travail des armes, couche souvent à la pluie et au froid ? Et quelles délices pourraient-ils goûter en leur cour, si leur pauvre peuple était toujours tourmenté et mangé de gendarmes et de tailles26 ? Autrement, Madame, il y aurait danger, si les Princes n’avaient autre soin du peuple, que Dieu ne se courrouçât et ne versât sur leur tête un torrent de feu et de soufre27, et que non seulement il exerçât ses jugements terribles sur leur chef ou leur couronne, mais aussi sur leur maison, et sur toute leur race, ainsi comme vous orrez ici qu’il étendit sur Saül défunt sa vengeance, non morte après la mort d’icelui, suscitant à son peuple l’espace de [NP4] trois ans une famine pour laquelle éteindre il fallut crucifier sa race : de quoi je vais parler par la bouche de David, suppliant Dieu, Madame, de garantir les sujets du roi, votre frère et mari, d’un tel fléau.

Votre très-humble et obéissant serviteur Jean de la Taille de Bondaroy