IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

Iphigénie

Le Clerc, Michel

Éditeur scientifique : Souchier, Marine

Description

Auteur du paratexteLe Clerc, Michel

Auteur de la pièceLe Clerc, Michel

Titre de la pièceIphigénie

Titre du paratextePréface

Genre du textePréface

Genre de la pièceTragédie

Date1676

LangueFrançais

ÉditionParis : Olivier de Varennes, 1676, in-12°. (Numérisation en cours)

Éditeur scientifiqueSouchier, Marine

Nombre de pages8

Adresse source

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Mise à jour2013-02-17

Mots-clés

Mots-clés français

GenreTragédie

SourcesEuripide ; Dictys de Crète

SujetConcurrence de deux pièces sur un même sujet ; altération de la fable ; pathétique

DramaturgieVraisemblance ; merveilleux

ActionUnité ; simple / touffue ; vraisemblable ; merveilleux ; deus ex machina ; machine

Personnage(s)Caractère ; ethos ; ressemblance

RéceptionSuccès ; cabale

FinalitéTerreur et pitié ; catharsis

MetadiscoursPréface / dissertation

Relations professionnellesConcurrence entre dramaturges ; collaboration entre dramaturges ; paternité littéraire ; auctorialité

Mots-clés italiens

GenereTragedia

FontiEuripide ; Ditti di Creta

ArgomentoConcorrenza di due pièces su uno stesso argomento ; alterazione della favola ; patetico

DrammaturgiaVerosimiglianza ; meraviglioso

AzioneUnità ; semplice / complicata ; verosimile ; meraviglioso ; deus ex machina ; macchina

Personaggio(i)Carattere ; ethos ; somiglianza

RicezioneSuccesso ; cabala

FinalitàTerrore e pietà ; catarsi

MetadiscorsoPrefazione / dissertazione

Rapporti professionaliConcorrenza tra dramaturghi ; collaborazione tra dramaturghi ; paternità litteraria ; autorialità

Mots-clés espagnols

GéneroTragedia

FuentesEurípides ; Dictis de Creta

TemaCompetencia entre dos obras sobre el mismo tema ; alteración de la fábula ; patético

DramaturgiaVersosimilitud ; maravilloso

AcciónUnidad ; sencilla / compleja ; verosímil ; maravilloso ; deus ex machina ; tramoya

Personaje(s)Carácter ; ethos ; semejanza

RecepciónÉxito ; cábala

FinalidadTerror y piedad ; catarsis

MetadiscursoPrefacio/ disertación

Relaciones profesionalesCompetencia entre dramaturgos ; colaboración entre dramaturgos ; paternidad literaria ; auctorialidad

Présentation

Présentation en français

C’est dans un contexte polémique que l’Iphigénie de Michel Le Clerc est créée, le 24 mai 1675, au théâtre Guénégaud. Cette tragédie cherche en effet à concurrencer l’Iphigénie de Racine, donnée à Versailles en août 1674 puis reprise à Paris durant l’hiver 1674-1675. Racine, alors au sommet de sa carrière dramatique, n’apprécie guère qu’on tente d’empiéter sur son terrain et fait retarder les représentations de la pièce rivale. Peu après sa création, paraissent, anonymes, des Remarques sur les deux pièces qui font la part belle à celle de Le Clerc mais l’attribuent au poète Jacques de Coras. Ce dernier semble effectivement avoir mis la main au texte de Le Clerc en l’aidant à terminer la versification, ce qui a pu entraîner auprès du public une confusion sur l’identité de l’auteur.

Lorsque Le Clerc publie sa pièce, il revient dans sa préface sur les circonstances de la création des deux Iphigénie et de sa concurrence avec Racine. Soucieux de défendre son texte face à celui de son rival, il évoque leurs divergences dramaturgiques : travaillant à partir de la même source, ils l’ont tous deux adaptée de manière différente. Ainsi Racine y a-t-il ajouté un épisode amoureux, ce que Le Clerc n’a pas souhaité faire. Le choix de son célèbre confrère a selon lui des conséquences négatives sur l’effet de la tragédie – le fonctionnement de la catharsis – et sur l’unité d’action de l’intrigue. Autre divergence : les deux auteurs n’ont pas fait porter la responsabilité du piège tendu à Iphigénie par le même personnage. Coupable chez Racine, Agamemnon ne l’est plus chez Le Clerc : dans sa pièce, c’est Ulysse qui attire Iphigénie dans le camp des Grecs. Le dénouement, enfin, fait l’objet de deux traitements sensiblement différents. L’Iphigénie de Racine échappe à la mort grâce à la présence du personnage d’Ériphile, tandis que Le Clerc fait intervenir la déesse Diane.

Ses justifications sont ainsi l’occasion pour le dramaturge d’esquisser une réflexion sur la liberté de l’auteur face à la fable antique, la place de l’amour dans la tragédie, les moyens de susciter la terreur et la pitié chez le spectateur, la vraisemblance, le traitement du merveilleux païen et le rôle du deus ex machina dans le dénouement.

La préface s’achève sur une revendication – à demi assumée, mais néanmoins réelle – de paternité littéraire. Le Clerc expose les conditions de sa collaboration avec Coras et affirme son statut d’auteur du texte tout en adoptant une posture mondaine face à l’auctorialité.

Texte

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Préface

{NP1} J’avouerai de bonne foi que quand j’entrepris de traiter le sujet d’Iphigénie en Aulide, je crus que Monsieur Racine avait choisi celui d’Iphigénie dans la Tauride qui n’est pas moins beau que le premier1. Ainsi le hasard seul a fait que nous nous sommes rencontrés, comme il arriva à Monsieur de Corneille et à lui dans les deux Bérénice2. Son Iphigénie a eu tout le succès qu’il pouvait souhaiter3, et sans doute elle a de grandes beautés, mais bien qu’elle ait eu l’avantage de la nouveauté, et qu’elle eût ce semble épuisé tous les applaudissements, celle-ci néan{NP2}moins qui a été représentée longtemps après la sienne, et qu’on avait voulu étouffer, a été encore assez heureuse pour trouver des partisans4. C’est ce qui fait que bien loin de la désavouer, je la donne au public qui ne sera peut-être pas fâché de faire la comparaison de toutes les deux.

On remarquera aisément que nous avons pris des routes toutes différentes, quoique nous ayons traité le même sujet. M. Racine a suivi Euripide où je l’ai quitté, et il l’a quitté où je l’ai suivi5. Il peut avoir eu ses raisons comme j’ai eu les miennes. Il a cru que le sacrifice de la véritable Iphigénie donnerait de l’horreur, et il n’a fait qu’exciter la compassion et arracher des larmes6. Il a trouvé que le sujet était trop nu s’il ne donnait une rivale à Iphigénie, et il m’a paru que les irrésolutions d’un père combattu par les sentiments de la nature et {NP3} par le devoir d’un chef d’armée qui exigeait le sang d’une fille qui lui était si chère ; que le désespoir d’une mère qui apprend qu’elle l’a conduite au sacrifice, lorsqu’elle s’attendait à la voir l’épouse du plus fameux héros de la Grèce ; que la constance de cette fille qui s’offre si généreusement à être la victime des Grecs quelque secrète joie qu’elle ressentît à se voir aimée d’Achille ; enfin que la juste colère de cet amant de qui le nom avait servi pour la conduire à la mort ; j’ai jugé, dis-je, que toutes ces choses suffisaient pour attacher et pour remplir l’esprit de l’auditeur pendant cinq actes, et pour y produire cette terreur et cette pitié si essentielles à la tragédie, sans qu’il fût besoin d’y joindre des intrigues d’amour et des jalousies7 hors d’œuvre8, qui n’auraient fait que rompre le fil de l’action principale, dont la véritable beauté consiste dans sa simplicité9 et {NP4} dans l’union des parties qui la composent10.

Agamemnon se résout ici à mourir plutôt, et à perdre le commandement de l’armée, qu’à livrer sa fille, et je rends Ulysse, conformément à son caractère et à ce que Dictys de Crète nous en a laissé dans son Histoire de la Guerre de Troie, l’auteur du piège qui est tendu à cette princesse infortunée11. En cela je quitte Euripide qu’il12 a suivi, mais je n’ai pas sujet de m’en repentir, puisque c’est de cet incident que naissent ensuite naturellement toutes les surprises de la mère et de la fille, du père et de l’amant qui se trouvent également trompés13.

Euripide non plus que M. Racine n’a point dit le sujet de la colère de Diane, la fable l’impute à Agamemnon pour avoir tué une biche que cette déesse chérissait, il m’a semblé qu’elle aurait paru trop {NP5} cruelle, de vouloir pour une faute si légère faire périr une innocente. Et quand j’ai feint14 que Clytemnestre lui avait consacré sa fille dès le berceau, et qu’elle avait violé ce vœu pour satisfaire à son ambition, j’ai cru donner à sa colère un prétexte plus raisonnable15. Enfin j’ai conservé avec Euripide une catastrophe16 généralement reçue et que M. Racine traite d’absurde dans sa préface sans songer qu’il offense Euripide à qui il a quelque obligation. Elle n’a pourtant choqué personne, et dans la représentation on a senti de la joie de voir cette princesse innocente sauvée par le secours de cette même Diane qui avait demandé sa mort. Cet événement n’est pas plus incroyable que l’oracle de Calchas. Et pour me servir des propres termes de M. Corneille dans le beau discours qu’il nous a donné de la tragédie : cette première supposition faite qu’il est des {NP6} dieux, et qu’ils ont quelque commerce avec les hommes, à quoi l’auditeur vient tout résolu quand le titre du poème l’y a préparé, il n’a aucune difficulté à se persuader le reste17. Il suffit que nous n’inventions pas ce qui de soi n’est pas tout à fait vraisemblable ; et qu’étant inventé de longue main il soit tellement connu de l’auditeur qu’il ne s’effarouche point à le voir sur la scène18. Autrement on ne pourrait plus souffrir ni les Œdipe ni les Andromède, ni les Médée ni les Alceste et les autres tragédies de cette nature.    

C’est encore une maxime établie, qu’il n’est pas permis de changer l’action principale des sujets reçus de la fable, non plus que de ceux qui sont tirés des Histoires absolument connues, et nous ne sommes véritablement maîtres que des incidents que l’auditeur croit aisément, quand il voit qu’ils le con{NP7}duisent à ce qu’il sait être véritable et dont la fable et l’Histoire lui ont laissé une forte impression.

En faisant une préface je ne veux pas m’engager insensiblement dans une dissertation, et je laisse au lecteur à faire ses réflexions sur tout le reste de l’ouvrage19. Je lui dirai seulement, comme je ne suis point d’humeur à m’enrichir du bien d’autrui20, qu’il y a dans tout le corps de cette tragédie environ une centaine de vers épars çà et là que je dois à Monsieur Coras, et que j’ai choisis parmi quelques autres qu’il avait faits en quelques scènes, dont je lui avais communiqué le dessein21. C’est ce qui a fait croire à celui qui nous a donné des remarques sur les deux Iphigénie et à quelques autres qu’il était l’auteur de l’ouvrage22. Je lui céderais volontiers toute la gloire qu’on pourrait en espérer, si je ne croyais la devoir au changement {NP8} que j’y ai apporté par l’avis de personnes éclairées, et pour qui j’ai toute sorte de déférence23.