IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

La Pompe funèbre, ou Damon et Cloris

Vion d’Alibray, Charles

Éditeur scientifique : Lochert, Véronique

Description

Auteur du paratexteVion d’Alibray, Charles

Auteur de la pièceVion d’Alibray, Charles

Titre de la pièceLa Pompe funèbre, ou Damon et Cloris

Titre du paratexteAvertissement

Genre du textePréface

Genre de la piècePastorale

Date1634

LangueFrançais

ÉditionParis, Pierre Rocolet, 1634, in-8°. (Numérisation en cours)

Éditeur scientifiqueLochert, Véronique

Nombre de pages22

Adresse source

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/Vion-Pompefunebre-Preface.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/Vion-Pompefunebre-Preface.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/Vion-Pompefunebre-Preface.odt

Mise à jour2015-03-02

Mots-clés

Mots-clés français

GenrePastorale

SourcesL’Aminte du Tasse

SujetSimple

DramaturgieRespect des règles ; dénouement (critique du deus ex machina) ; déguisement

LieuBois

Personnage(s)Statut des personnages de pastorale ; fantôme ; hamadryade ; satyre

RéceptionReprésentation / lecture

FinalitéDivertissement des honnêtes gens

ExpressionStyle élevé ; style simple ; decorum ; difficultés de la traduction

MetadiscoursPréface remplaçant l’argument

AutreArgument ; traduction ; anonymat

Mots-clés italiens

GenerePastorale

FontiL’Aminta di TorquatoTasso

ArgomentoSemplice

DrammaturgiaRispetto delle regole ; scioglimento (critica del deus ex machina) ; travestimento

LuogoBosco

Personaggio(i)Statuto dei personaggi della pastorale ; fantasma ; amadriade ; satiro

RicezioneRappresentazione / lettura

FinalitàDivertimento della gente onesta

EspressioneStile elevato ; stile semplice ; decoro ; difficoltà della traduzione

MetadiscorsoPrefazione al posto dell’argomento

AltriArgomento ; traduzione ; anonimato

Mots-clés espagnols

GéneroPastoral

FuentesAminta de Tasso

TemaSimple

DramaturgiaRespeto de las reglas ; desenlace (crítica del deus ex machina) ; disfraz

Personaje(s)Estatuto de los personajes de pastoral ; fantasma ; hamadryade ; sátiro

RecepciónRepresentación / lectura

FinalidadEntretenimiento de la gente honrada

ExpresiónEstilo elevado ; estilo humilde ; decoro ; dificultades de la traducción

MetadiscursoPrefacio que sustituye el argumento

OtrasArgumento ; traducción ; anonimato

Présentation

Présentation en français

Deux ans après avoir publié une traduction de L’Aminte du Tasse, Vion d’Alibray fait paraître sa deuxième traduction d’une pièce italienne1. Il s’agit à nouveau d’une pastorale, Le pompe funebri de Cremonini, qui s’inspire directement de L’Aminta. Mettant en scène les funérailles d’un berger et faisant intervenir des fantômes dans le prologue, le congé2 et les intermèdes, la pastorale de Cremonini interroge les frontières du genre pastoral en se rapprochant de la tragédie, à contre-courant de l’influence guarinienne3.

Dans la première partie de sa préface, Vion d’Alibray répond à un certain nombre de reproches adressés à l’œuvre de Cremonini, dont il défend le caractère pastoral malgré le recours à un style élevé et l’apparition d’ombres. Il expose ensuite son travail de traducteur et les difficultés rencontrées pour restituer en vers français les vers libres de l’auteur italien. Il propose enfin une liste de suppressions possibles pour une éventuelle représentation de la pièce.

À travers ces réflexions se dessine l’ambition théorique d’un auteur en avance sur les pratiques de son temps par son souci de régularité et de vraisemblance. La pastorale italienne lui offre en effet le modèle d’une action simple, qu’il oppose à la production contemporaine et dont il prend soin de justifier tous les écarts potentiels par rapport à l’exigence de vraisemblance. Vion d’Alibray commente ainsi la présence des fantômes et de l’hamadryade, dont il souligne le caractère circonscrit, critique le dénouement par deus ex machina et la pratique de l’argument, et s’interroge longuement sur la vraisemblance d’un déguisement. En proposant de supprimer de la version scénique le prologue et le congé, où apparaissent les ombres, ainsi que les intermèdes et les scènes de satyres, Vion d’Alibray atténue la portée subversive de l’œuvre originale, mais témoigne de l’évolution du goût français vers une forme de régularité moderne.

Texte

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Avertissement        

{NP1} J’estime que nous sommes encore plus obligés de rendre la justice en ce qui touche les biens de l’esprit qu’en ce qui regarde ceux de la fortune. C’est pourquoi, lecteur, je te veux déclarer4 l’auteur de cette pastorale, bien qu’elle soit si rare que je pouvais par mon silence recevoir la gloire de son invention, sans craindre d’être découvert que de fort peu de personnes. Je gagnerai par là ta bienveillance, et les louanges que tu eusses données à la fausse opinion de mon esprit, j’espère que tu les donneras maintenant à la sincérité de ma conscience5. Et puis il ne t’importe, pour me demeurer redevable de ce que je te donne, qu’il vienne de moi ou que je l’emprun{NP2}te d’ailleurs, sinon qu’il semble que c’est une plus grande marque du soin6 que j’ai de ton contentement, d’aller chercher parmi les étrangers ce que je ne trouve pas chez moi pour y satisfaire. Le vrai père donc de cet ouvrage, qui est dans la rigueur de toutes les règles, dans l’unité de temps, d’action et de lieu, c’est César Crémonin, l’un des plus excellents personnages, et particulièrement en philosophie, que l’Italie ait jamais produits7. Touché du bruit que s’était acquis L’Aminte8, il entreprit cette pastorale à son imitation, comme on dit qu’autrefois Aristote, jaloux de la réputation d’Isocrate, se mit aussi à embrasser l’éloquence9. En quoi certes notre auteur témoigna la grande estime qu’il en faisait, jusques à donner le nom d’Aminte à son premier personnage, que j’ai changé en celui de Damon. Aussi ne pouvait-il pas mieux faire que de se proposer un tel exemple, puisque étant10 nécessaire de demeurer toujours derrière {NP3} celui qu’on suit, et principalement en ce genre d’écrire où le sujet, pour être fort simple de sa nature, fournit aussi fort peu d’inventions nouvelles11 ; par ce moyen, s’il n’allait du pair avec le Tasse, du moins était-il assuré qu’il ne se laisserait pas devancer par les autres. Néanmoins, ainsi que les plus beaux corps célestes nous paraissent avec quelques taches, de même y a-t-il des esprits qui pensent trouver quelques défauts dans ce chef-d’œuvre. Premièrement ils accusent notre auteur de s’être servi bien souvent d’un style trop grave et trop relevé pour une pastorale. Mais à cela le poète latin répond lui-même et leur ferme la bouche, quand il ordonne que les chants bocagers soient dignes d’un consul12. Et la raison en doit être, parce qu’ils semblent faits pour l’entretien de ces esprits sublimes, quand ils se veulent délasser et retirer du bruit et du soin13 des affaires publiques. C’est ce que ce grand homme a pratiqué lui-même dans ses {NP4} Églogues, et dans ses livres de l’agriculture14, où il fait discourir de simples bergers et donne des leçons aux laboureurs, avec une majesté de langage et de pensées aussi grande qu’alors qu’il15 chante les héroïques faits d’armes d’Énée. Aussi ne faut-il pas que celui qui décrit quelques aventures champêtres imite simplement les discours des bergers, vu qu’il n’y a pas si grossier qui ne le pût faire, mais plutôt de quelques personnes qui, loin de l’ambition et du tracas du monde, mènent une vie privée et qui ne reconnaît que les innocentes et douces passions de la nature16. Et de là vient que la pastorale est le divertissement des honnêtes gens, et que quand ils se veulent récréer, ils en choisissent toujours quelqu’une17. C’est donc louer le Crémonin que de le reprendre18 de la sorte, et montrer le prix de ses vertus, en faisant voir combien ce que l’on répute19 un vice en lui est recommandable20. Toutefois si l’on y prend garde, on trouvera que ces discours {NP5} trop relevés ne sont qu’en la bouche de personnes à qui ils conviennent fort bien, et que c’est l’ombre de Daphnis qui les tient, ou le prêtre, ou Phillis, que son âge avait rendue savante, ou le satyre qui, pour brûler de l’ardeur des bêtes, ne laissait pas d’être éclairé de la lumière des demi-dieux, ou l’hamadryade21, ou enfin Silène22, que l’auteur faisait pareillement un demi-dieu, et que je me suis contenté de faire un ancien23 et sage berger. Quelques autres ne s’en prennent pas à la gravité de l’auteur, mais aux personnages graves24, et ne trouvant rien à redire au corps de la pièce, s’attachent à l’ombre de Daphnis et la condamnent, toute bienheureuse qu’elle est, comme étant de mauvaise grâce dans une pastorale25. À quoi je réponds qu’aussi n’y entre-t-elle pas, puisqu’elle n’en fait que le prologue et l’adieu, et que quand elle en serait, c’est, ainsi que j’ai dit, l’ombre bienheureuse d’un berger de ce pays-là, et non pas quelque {NP6} ombre qui paraisse sous un suaire, comme d’ordinaire on les représente ; et quand même elle serait triste et funeste, la pastorale peut recevoir ces sortes de sujets graves. Ils la poursuivent26 encore et disent qu’au moins semble-t-il fort étrange que notre auteur lui donne une escorte pour la conduire, comme si Daphnis était encore aveugle après sa mort, qui27 est un accident dont il n’y a que le corps qui soit capable. À quoi je me préparais à répondre que cela se devait entendre d’une escorte invisible, par le pouvoir de laquelle Daphnis retraçait un chemin qu’il n’est pas permis à personne de rebattre28, et c’est d’une semblable escorte que l’hamadryade parle, et29 les ombres des intermèdes (que je n’ai mis qu’en prose, parce que ce n’est plus la coutume de les réciter30). Mais je me suis ressouvenu qu’à la fin de la pièce, les petits satyres aperçoivent véritablement plus d’une ombre à qui ils quittent31 la place. C’est pourquoi il vaut {NP7} mieux dire qu’en cela notre auteur s’est accommodé32 au sentiment grossier du vulgaire et de cette philosophie païenne, qui ne se pouvait figurer que l’âme fût tellement dépouillée du corps par la mort qu’il ne lui en restât encore comme quelque légère couverture. De là vient qu’ils croyaient leurs morts assujettis aux mêmes soins33 et passions qui les travaillaient durant leur vie, et que Virgile ne feint34 point de leur donner des voix, quoique grêles et fort faibles35. Que si nous ne nous offensons pas de voir dans les vieux poètes tragiques l’ombre de la mère d’Oreste, qui paraît avec la plaie encore toute sanglante qu’elle reçut de la main de son fils36, pourquoi trouverons-nous mauvais que Daphnis retienne37 celle qu’il s’est faite lui-même, qui lui est si glorieuse, et qui le rend immortel parmi les hommes ? Et de fait d’autres ne le désapprouvent pas, mais laissant notre ombre en repos, s’étonnent seulement que l’hamadryade {NP8} en sorte38 pour faire un des personnages de la pièce. Et certes ils ne sont pas seuls qu’elle étonne39, car elle cause du trouble dans tous ceux qui la voient parler, hormis le satyre. Et moi, je trouve qu’elle devrait plutôt causer de l’admiration40 d’ouïr comme elle parle que de ce qu’elle parle, car et Virgile et Ovide, et [le] Tasse ont introduit de semblables divinités parlantes dessous41 l’écorce des arbres42, et ce n’a pu être plus à propos que notre auteur, ni en un lieu plus convenable, puisque tous les événements de cette pastorale se font dans le bois ou aux environs. Que si l’on trouve à redire qu’elle marche, les raisons en sont si ingénieuses que si on les considère, je m’assure que l’on jugera qu’elle le fait de fort bonne grâce. Mais ils opposent que d’une chose extraordinaire, on attend quelque effet extraordinaire, et que néanmoins l’hamadryade ne sert que d’empêcher que Damon ne se tue, ce que le premier venu eût bien fait, et de {NP9} faire retrouver au satyre ses rets, qui43 est une action indigne d’elle. À quoi je réponds qu’outre cela sa vue sert de bon augure et d’assurance du bonheur à venir, comme elle dit elle-même à Tityre, et que notre auteur a très judicieusement fait de nous donner un incident si agréable, qui s’accommodât44 si bien à sa pièce, sans y être toutefois absolument nécessaire. Car supposons qu’il y fût nécessaire, n’aurait-on pas raison de dire qu’il ressemblerait à ces anciens dont on se moquait, qui, comme il est plus aisé de faire des nœuds que de les dénouer, embrouillaient bien les intrigues, mais après cela, demeuraient courts d’invention, et n’en pouvant trouver en terre, avaient recours au ciel, d’où ils faisaient descendre par une machine quelque dieu, qui démêlait toute l’affaire45. La dernière chose à quoi quelques-uns croient encore avoir raison de s’arrêter, c’est de voir que Damon prenne Pâris pour sa maîtresse, à cause seulement {NP10} qu’il en porte l’habit, car qu’il méconnaisse Cloris vêtue en berger, ayant un chapeau sur sa tête, et changeant le ton de sa voix pour n’être pas connue, cela n’est point étrange46. C’est pourquoi j’avais pensé de faire que Pâris fût frère de Cloris, pour deux raisons : l’une, afin que ce changement d’habits d’une bergère sage avec un jeune berger fût plus supportable, encore que pour sauver ceci l’auteur fasse dire exprès au satyre à la fin de la pièce qu’un tel déguisement est ordinaire aux jours de fête et de réjouissance ; l’autre, afin que, par la ressemblance des traits de visage qui se rencontrent bien souvent entre un frère et une sœur, Damon se laissât tromper avec plus d’apparence47. Mais voulant éviter un inconvénient, je tombais en un autre, car il serait toujours difficile à comprendre comment Damon pourrait méconnaître le frère de sa maîtresse, quoique sous un autre habit, et comment Pâris méconnaîtrait Damon, servi{NP11}teur48 de sa sœur. De couvrir aussi Pâris de quelque voile, il ne se peut pas, puisque Cloris avait perdu le sien, devant49 que de faire cet échange d’habits avec lui. Je me suis donc contenté de donner à ce jeune berger le nom de Pâris, au lieu de celui de Lesbin qu’il avait, pour témoigner par là sa grande beauté50, laquelle il faut remarquer que Damon ne faisa[i]t qu’entrevoir, parce que ce jeune homme avait honte d’être reconnu sous cet habit (ainsi que Tirsis dit après qu’il s’était mis en colère d’avoir été pris par lui pour Cloris) et par conséquent ne montrait son visage qu’à demi, et d’ailleurs Damon étant hors de soi et dans des transports d’amour et de rage, comme il le déclare lui-même, il lui était bien aisé de se méprendre à l’éclat incertain d’une autre beauté, et de croire que ce fût sa maîtresse, dont il voyait déjà les habits. Voilà ce que j’ai pensé être obligé de te dire, touchant les scrupules que la lecture de cette pastorale a fait naître {NP12} dans quelques esprits. Maintenant il semblerait à propos, après avoir purgé notre auteur de ses fautes imaginaires, d’excuser ou de défendre les miennes, mais parce que je ne dois pas prévenir51 ton jugement, et que d’autre part cet avertissement commence d’être ennuyeux, je ne t’en dirai pas beaucoup de choses. Au pis aller, figure-toi que ceci te tient lieu d’un argument de quatre ou cinq pages, tel qu’on les fait d’ordinaire, car puisque j’imite l’italien, j’en prendrai aussi cette coutume de n’en point mettre52. En effet, la pastorale servira d’argument elle-même à ceux qui auront la patience de la lire, et les autres n’en demeureraient pas plus satisfaits pour ne savoir que le simple sujet d’une fable53. Pour revenir donc à moi, je souhaite, pour t’avoir plus favorable, que tu ne sois pas de ces gens qui ne croient rien de bien fait que ce qu’ils font. Ils ressemblent à ces petits juges qui, pour montrer leur puissance, en abusent, et trai{NP13}tent leurs parties54 avec plus de rigueur que ne font ceux de qui la juridiction est souveraine. Tu considéreras que l’obligation d’exprimer de certaines pensées cause bien souvent dans la version55 une certaine contrainte qu’on ne peut éviter qu’en ne les rendant pas, et néanmoins tu sais que ceux qui imitent étant des esclaves, et à plus forte raison ceux qui traduisent, la plus grande vertu des personnes de cette condition, c’est d’être fidèles. Or est-il que56 de cet inconvénient s’ensuit un autre, que les pensées étant quelquefois fort étendues, ainsi qu’elles sont dans notre auteur, qui écrit en vers libres, c’est-à-dire presque en prose, on ne les peut pas toujours renfermer dans le juste espace d’un distique, ce qui est un défaut aucunement57 déplaisant à l’oreille. Tu prendras garde aussi quand tu rencontreras des vers qui te sembleront trop simples, si ce n’est point que la matière n’en saurait souffrir d’autres, et s’ils ne sont point plus faciles que faibles. Il {NP14} y a des choses, principalement dans les narrations, qu’on obscurcit en les voulant relever et leur donner plus de lumière : limer trop gâte et ruine ce que l’on désirait polir davantage, et bien souvent pour conserver la naïveté58 entière de l’auteur qu’on traduit, on est contraint de précipiter sa veine, à l’imitation d’Atalante, qui ne perdait rien de sa grâce en courant59. Ce n’est pas pourtant que je prétends que tu ne puisses remarquer ici beaucoup de fautes, quoiqu’il y ait des vers qui ne sentent point sa version60 ; et cela, je le dis plus par franchise que par vanité, puisque aucunes fois61 l’industrie62 contribue moins en ce métier que le caprice et la bonne fortune, mais seulement je veux dire que la plupart de celles que tu verras étaient comme inévitables, que je les ai bien connues, ne les ai pas aimées, mais n’ai pu m’empêcher d’y tomber. Aussi, si tu lis ici mon nom, plutôt qu’en quelques autres petits coups d’essai qui sont déjà par{NP15}tis de ma main63, ne t’imagine pas pour cela que je présume davantage de ce travail que de tout le reste, car j’eusse encore été bien aise d’attendre à me nommer que j’eusse acquis quelque nom. Mais puisque je ne me cachais que pour le profit du libraire, et afin qu’il pût faire passer pour auteur de ce que je lui donnais un plus habile que moi, maintenant qu’il m’a témoigné que quelques-uns rebutaient comme mauvais les livres que personne n’avouait64, n’impute pas à une vaine ambition si j’ai souffert qu’il contentât par là, quoique inutilement, son envie65. Tu te persuaderas aisément cette vérité, quand tu considéreras que son même intérêt, joint à sa prière, m’a obligé de te donner ici le moyen d’abréger cette pastorale, afin qu’elle en fût mieux reçue quand elle se pourrait représenter plus facilement66. Je sais bien que comme nous ne sommes riches que des choses superflues, ainsi que disait un ancien statuaire, il faut retrancher ce {NP16} qui est de plus beau, pour ne laisser que ce qui est nécessaire ; mais il n’importe, je crois que ce qui restera suffira encore pour faire une gentille pastorale. En voici donc un des plus courts moyens :

Du premier acte.    

On peut laisser le prologue, et commencer par « Douce étoile d’amour ».

De la troisième scène, il sera bon de retrancher du grand discours de Phyllis depuis « Les poisons resserrés, etc. » (p. 14) jusques à « L’Amour est Dieu du temps », exclusivement (p. 15), de sorte que après ce vers : « Garderons aux baisers leur nectar et leur miel », suive celui-ci : « L’Amour est dieu du temps, etc. ».

Du second acte.

Puisqu’il semble que les satyres n’aient {NP17} plus de grâce sur le théâtre, et qu’on se contente de raconter ce qu’ils ont fait67, nous ôterons aussi les nôtres, ainsi le second acte commencera par la seconde scène. On peut aussi ôter du discours de Tirsis en la 3ème scène, les huit derniers vers, comme encore ces huit autres, qu’il dit en la scène suivante (p. 50), qui commencent : « Borée a des Ormeaux, etc. », et venir tout d’un coup68 à celui-ci : « Tu sais l’art de fléchir, etc. ».

Pour la 6ème et 7ème scène, qui sont de satyres, il les faut passer.

Du troisième acte.

Pour éviter cette longue digression de l’hamadryade, il ne faut que faire faire son personnage à un berger qu’on nommera Ergaste, en accommodant à lui ce qu’elle dit, comme au lieu de « Tout proche de mon tronc, etc. », mettez : {NP18} « Contre le pied d’un arbre, etc. » (p. 70). « Et sur mon tronc », mettez : « Et sur le tronc ». « Mon écorce », mettez : « Son écorce ». P. 71, pour « Avait frappée au cœur », mettez : « Frappait dedans le cœur ». Au lieu de « Mais un chêne parlant », mettez : « Mais seulement ma voix ». Au lieu de « Ô nymphe tu me viens », mettez « Ergaste tu me viens » (p. 73). Et puis il faut couper tout ce qui suit de cette scène, depuis « Mais belle Hamadryade », par ces deux vers-ci :

Ergaste

Adieu, je ne saurais t’en dire d’autres choses.
>

Tityre.

Jouisses-tu toujours du bonheur que tu causes.

Et au lieu de ce que dit Tirsis au commencement de la scène suivante : « Donc un chêne chemine, un chêne a de la voix. / Que ce jour nous fait voir d’étranges aventures », et de ce que répond Tityre : « Ce prodige, Tirsis, n’a que de bons augures », il faut mettre : {NP19} « As-tu donc oublié Damon à cette fois, / Ta paresse te fait une notable injure », comme lui reprochant qu’il ne le cherchait plus. Et l’autre répondra : « Ma paresse, Tirsis, ne vêt qu’un bon augure », et le reste. Et puis passer ces quatre vers de la page suivante, qui commencent : « Et voir un chêne encor, etc. ». Et changer ces deux-ci : « Où l’épine piquait, il y sème des roses, / Et change à son plaisir le visage des choses », de cette façon : « Où l’épine piquait, on y cueille des roses, / Le sort change à son gré le visage des choses ». Et puis un peu plus bas, au lieu de « Quel privilège as-tu, de grâce, dis-le moi, / Que des chênes ainsi viennent parler à toi? », mettre : « Quel grand sujet as-tu, de grâce, dis-le moi, / Qui te rend si soudain si dissemblable à toi? » et laisser jusques à « Dans le milieu du bois, etc. ». {NP20} Et au lieu de ces deux vers qui viennent incontinent69 après : « Quand un arbre vers moi venant à l’imprévue, / Me frappe en même instant, et l’oreille, et la vue », mettez : « Quand Ergaste vers moi s’en vient à l’imprévue, / Comme j’avais ailleurs, et l’oreille, et la vue ». Et puis laisser tout le reste pour venir à ce[s] vers : « Je parlai de Damon », qui sont à la fin de la page suivante, jusques à « J’ai pourtant entendu, etc. » qu’il faut encore laisser, pour faire dire à Tityre tout à coup : « Je m’en vais de ce pas, etc. » à la fin de la page suivante.

De la scène septième, il faut retrancher du discours de Silène avec Damon, et le faire commencer par « Lorsque après avoir fait les parts de l’univers », et laisser la scène suivante, qui est des deux petits satyres.

{NP21} Du quatrième acte.

On peut laisser la 2ème et la 3ème scènes tout entières, et venir à la 4ème de façon pourtant que au lieu de :

>

Silène.

Toi, Berger, d’où viens-tu ?
>

Cloris.

Des prochaines forêts,
De tendre aussi des lacs, non point à quelques belles,
Mais en terre, aux lapins, en l’air, aux tourterelles,

on mette :

>

Silène.

Dis-moi, jeune berger, où vas-tu, d’où viens-tu,
Quelque grand mal, ce semble, a ton cœur abattu.
>

Cloris.

Je viens de nos forêts, de déclarer la guerre
Aux oiseaux, dedans l’air, aux lapins, dessus terre.

Il faut laisser la scène 5, qui est celle des petits satyres.

{NP22} Du cinquième acte.

De la 6ème scène, il faut retrancher ce que dit le satyre, et faire ainsi commencer Cloris : « Du vouloir de Damon, je fais ma volonté, / Je remets en ses mains toute ma liberté, etc. ». Et puis sautant encore ce que dit le satyre, et ce que lui répondent Damon et Cloris, venir tout d’un coup à la conclusion de Tirsis, qui commence «  Allons, puisque tous deux, etc. », et qui s’achève par ces deux vers : « Et sera glorieux de voir que sa journée / Finisse par le nœud d’un si bel hyménée ». Et là finir la pastorale, et cet avertissement aussi. Adieu.