IdT – Les idées du théâtre


 

Dédicace

La Soltane. Tragédie, par Gabriel Bounin, Lieutenant de Châteauroux en Berry

Bounin, Gabriel

Éditeur scientifique : Cecchetti, Dario

Description

Auteur du paratexteBounin, Gabriel

Auteur de la pièceBounin, Gabriel

Titre de la pièceLa Soltane. Tragédie, par Gabriel Bounin, Lieutenant de Châteauroux en Berry

Titre du paratexteÀ Monseigneur Monsieur de L’Hôpital, Chancelier de France, Gab[riel] Bounin Salut.    

Genre du texteDédicace

Genre de la pièceTragédie

Date1561

LangueFrançais

ÉditionParis, Guillaume Morel, in-4°.

Éditeur scientifiqueCecchetti, Dario

Nombre de pages6

Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k71728z/f3

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/Bounin-Soltane-Dedicace.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/Bounin-Soltane-Dedicace.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/Bounin-Soltane-Dedicace.odt

Mise à jour2015-06-25

Mots-clés

Mots-clés français

Personnage(s)Les Solimans

FinalitéRendre les Français conscients des périls de leur temps

ActualitéGuerres de religion

Mots-clés italiens

Personaggio(i)I Solimani

FinalitàRendere i Francesi consapevoli dei pericoli della loro epoca

AttualitàGuerre di religione

Mots-clés espagnols

Personaje(s)Los Solimanes

FinalidadConcienciar a los franceses de los peligros de su tiempo

ActualidadGuerras de religión

Présentation

Présentation en français

Gabriel Bounin (né vers 1535 - mort après 1586)1 fut le premier qui composa une tragédie d’imitation classique empruntant son sujet à l’histoire contemporaine : en effet, l’assassinat de Mustapha, fils et héritier du trône de Soliman le Magnifique, dont il est question dans la pièce, avait eu lieu huit ans avant la publication de La Soltane2. Avec la pièce de Bounin prend naissance une typologie dramatique – celle du drame de sérail, qui va jouir d’une grande fortune au XVIIe siècle, jusqu’au Bajazet racinien – et s’ouvre cette vogue de la turquerie qui continuera jusqu’au Romantisme. Néanmoins, la pièce de Bounin peut être considérée comme une turquerie seulement en vertu des noms des personnages et des rappels, tout à fait extérieurs, à l’actualité historique : en effet, le véritable modèle est la tragédie de Sénèque, dont Bounin a gardé les références à la mythologie gréco-latine, dans une reprise fidèle du langage classique. Étant donné que La Soltane a pour protagoniste un personnage féminin, on retrouve dans cette pièce une identification avec les héroïnes du théâtre sénéquien telles que Médée ou Phèdre, dépassées en méchanceté par la sultane Rose3.

La pièce de Bounin est également importante pour son discours sur le langage tragique et sur les modèles dramaturgiques du XVIe siècle à cause de son adhésion à l’archétype classique. Dans l’épître préliminaire adressée à Michel de L’Hôpital4, Bounin offre un éloge conçu selon les règles rhétoriques de la laudatio, soulignant surtout le mécénat du dédicataire. Il rappelle aussi que l’usage de dédier un ouvrage à une personne illustre remonte à l’époque classique, ce qui révèle une attitude de classicisme. En ce qui concerne l’ouvrage dédicacé, Bounin ne s’arrête pas à commenter la nouveauté du sujet – le choix des Turcs contemporains comme protagonistes – mais il trace un parallèle entre la situation de péril où se trouvent les Français (on assiste, à l’époque, aux prodromes des guerres de religion) et le sujet porté à la scène : affirmation, d’ailleurs, assez courante dans les paratextes des tragédies de la deuxième moitié du XVIe siècle.

Texte

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À Monseigneur Monsieur de L’Hôpital, Chancelier de France, Gab[riel] Bounin, Salut.

[NP1] Prévoyant, Monseigneur, et d’une ancienne mémoire répétant en mes plus soigneux pensers5 les troubles et divisions dont hui6 sont démolies et renversées les républiques, au grand deuil de vous, toutefois pour n’être de ce parti, et voire pour effuir7 (comme il est en l’adage8) à force de rames et de voiles tels perturbateurs du repos commun, je me suis tant que loisiblement9 j’ai pu cachement10 distrait et départi de la chose commune et autres fonctions civiles, pour, comme un Timon Misanthrope11, me cacher dans les lettres et solitairement m’étranger12 de l’accès des hommes. Et ainsi après quelques regrets cuisants, et non moins de plaintes, pour vainement ne laisser écouler le temps, duquel (comme disait Théophraste13) n’est prix, coût, ne14 dépense plus chère, comme de toutes choses le plus impossible à recouvrer, ayant entremis15 le sévère labeur de mes études sérieuses jusqu’à un temps plus calme et asséréné16, je me suis amoureusement réconcilié avec mes Muses. Aux leçons desquelles, après laborieusement y avoir dépensé [NP2] quelques heures, il m’est venu en l’avis17 de faire monter les Solimans sur le théâtre, plutôt pour affiner18 et assagir19 nos Français de leurs périls tragiques que pour arrogamment faire quelque épreuve de moi, vu que je serais des plus ignares, ne sachant nager ne20 les lettres21. Ainsi donc, Monsieur, à la faveur de votre œil, étant venu à sus22 de mes desseins, j’ai bien tant osé sans aucun accoutrement d’arrogance, espérant bon visage de votre hauteur, vous dédier ce mien tel quel ouvrage : ce que vraiment sans rougir je n’eusse fait, si à l’ongle23 ne m’eût été trop connue votre candeur24 et coutumière bienveillance, non moins fortunément heurée25 que heureusement fortunée26, par laquelle gaiement, à front déployé, coutumièrement recevez tous labeurs et poèmes de toute trempe, ne dédaignant et mettant à mépris les rudes et mal nés27, pour ne devancer, voire et ne démouvoir28 le jeune ouvrier du projet de ses meilleurs labeurs. L’autre cause, Monsieur, qui m’a poussé de vous vouer ce mien livre, n’est autre que, sachant29 être en l’usance30 et institution des Grégeois31 que quand il se faisait quelque ouvrage, de le dédier au plus docte et sage de leur temps, afin que celui-là par son docte savoir louangeât ce qui serait louable et par sa sage modestie taisiblement32 supportât et clinât33 [NP3] aux fautes. Ainsi, Monsieur, ne sachant, comme vraiment je ne sais, votre pareil et égal34 soit en prudence, en grandeur de savoir, accomplissement ou perfection de mœurs, je ne dirais en l’Europe, mais en toute la rondeur de ce siècle35, comme au seul ornement de la France36, j’ai osé certes, non moins humblement que modestement, sacrifier ce mien ouvrage à votre hauteur. Encore et derechef suppliant votre douceur et cette vôtre clémence, dont vous êtes heureusement doué, de le recueillir aussi affectionnément37 qu’humblement, j’ai osé le vous présenter. Mais pourrai-je ores assez condignement38 louanger cet esprit ? cette douceur débonnaire qui vous environne ? ce savoir tant émerveillable39, duquel40, loin (si je le dois dire ainsi) de plusieurs parasanges41, outrepasse les plus doctes de ce siècle. Las ! combien la France vous doit d’être de vous si saintement et fidèlement conseillée ! en ce42 imitant43 (comme dit Cicéron en l’oraison pour Sexte44) les Curiens, les Fabriciens, les Brutes, les Scipions et Æmiliens, à leurs exemples, en premier vous (comme eux Rome) aimant chèrement la France45, conseillant et secourant les bons, ne tournant rien à gain, mélouant46 les profits présents, n’estimant rien bon que ce qui est juste et équitable, bref gardant étroitement ces deux préceptes de Platon47 : l’un, par [NP4] lequel si sagement et amoureusement avisez à l’utilité et souverain bien des Français, voire que tout ce que pensez et faites, le tournez à leurs seuls gains et profits, chez vous-même oubliant les vôtres ; l’autre, par lequel si soigneusement policez48 et administrez nos républiques, voire que49 quand d’équité défendez aucuns50 corps ou parties d’icelles, néanmoins en rien ne défavorisez les autres, faisant comme d’une tutelle, devançant ou postposant vos affaires privées aux publiques, voire que jà51 pour votre bienveignement52 chez nos Français et autres lointaines contrées, ayez acquis le nom d’Aristide53, qui, pour non moins heureusement que fidèlement avoir régi et gouverné l’aristocratie athénienne, fut de tous appelé « Le Juste »54. Qui est l’œil tant aveuglé, l’esprit tant étrangé55 de raison, qui, réduisant en mémoire56 cet incomparable savoir et bonté dont vous êtes prodiguement rempli, ne vous louange ? ne vous admire ? non comme né en nos foyers et chez nos pénates, ains57 comme tombé du ciel en ces terres, si ainsi il m’affiert58 de dire. Je dis « admire », comme le Thémistocle59 qui60, étant allé en la ville d’Olympie pour voir la célébrité61 des jeux quinquennaux62, séant en son rang, lors ceux qui étaient là jusqu’au moindre, tous détournèrent leurs faces, égarèrent63 et jetèrent leurs vues64 sur Thémistocle, émerveillablement65 [NP5] contemplant plutôt les excellences desquelles il était comblé que les mystères et autres singularités des Jeux Olympiques. J’ose bien dire, Monsieur, en espérance d’être cru, que les républiques de Socrate, d’Hippodame ou de Phalée Carthaginien66, n’ont été si bien et heureusement régies que hui67, au poids de votre équilibre68, sont les républiques françaises gouvernées. Qui n’admirerait vos sains conseils, desquels (ne sais par quel instinct divin) avez usé pour l’amortissement de ses schismes et factions civiles, voire que l’on voit jà les Français se réunir et réhospitaliser69, non moins sous la faveur de votre nom que sous le poids et énergie de votre faconde70. Mais quoi ? veux-je entrer en louanges ? veux-je reclaircir71 le soleil de torches ? Monsieur, je supplierai votre douceur de taisiblement72 souffrir ces discours, comme vraiment étant contraint et poussé avec le reste de la France de témoigner en tous lieux les vertus qui si heureusement vous environnent, par la grandeur desquelles avez condignement73 gagné le rang où vous séez74. Combien que je n’ignore la lueur de la vertu être si resplendissante qu’elle ne désire davantage être reclaircie75 par la bouche des hommes, comme nous lisons de Lysandre76, qui, à un lui disant77 qu’il l’admirait et louangeait en tous lieux, répondit qu’il avait deux bœufs en son champ et tous deux muets, mais qu’il [NP6] savait bien lequel des deux était le plus franc78 au labeur, estimant la vraie vertu n’être nécessiteuse de louanges humaines, comme elle étant la louange même. Or donc, Monseigneur, afin que la prolixité ne vous cause ennui, je ferai fin, vous suppliant de départir79 quelque partie de votre coutumière clémence à ce mien labeur, afin qu’à l’avenir, Dieu y aidant, j’aie trop plus d’argument pour faire chose digne de votre hauteur.